Depuis l’affaire Lance Armstrong, le milieu du cyclisme professionnel n’a plus jamais été épargné par les soupçons de dopage. Certaines performances exceptionnelles fascinent observateurs et journalistes, autant qu’elles interrogent. Face à cela, quelle place pour le journaliste et son récit ? Thierry Vildary, Pierre Ballester et Pierre Carrey, ont tenté de répondre à cette question le 14 janvier dernier, lors d’une conférence à l’EPJT.
Quarante ans plus tard, une affaire de dopage secoue le monde du cyclisme professionnel. Le 23 août 2005, le cycliste américain Lance Armstrong fait l’objet de révélations de dopage du quotidien L’Équipe. Elles révèlent au grand jour le dopage à l’EPO (érythropoïétine) de celui qui avait déjà remporté le Tour de France à sept reprises.
Depuis cette affaire planétaire, le milieu du cyclisme professionnel continue d’inspirer le doute des publics et des journalistes sur les performances de ces champions que d’aucuns considèrent comme des sportifs hors du commun. Pourtant, les enquêtes, révélations et dossiers de suspicion sur les performances de certains athlètes se font rares.
Lors de la conférence, nos trois intervenants, Thierry Vildary et Pierre Ballester (présents à l’école) et Pierre Carrey (en distanciel) ont pointé du doigt la difficulté d’accès du monde du sport professionnel. « De mon expérience, l’investigation dans le sport est l’un des domaines

Thierry Vildary devant les étudiants de l’EPJT.
les plus difficiles qui soit », déclare Thierry Vildary, journaliste d’investigation pour France Télévisions. Il ajoute même « dans le sport, la règle c’est de ne pas parler. C’est même une loi, la loi du silence ».
Une « loi » constatée également par Géraldine Hallot, journaliste pour la cellule d’investigation de Radio France lors de la rédaction, de la préparation et de la publication de son enquête sur le peloton du Tour de France : « Enquête sur un peloton hypermédicalisé ». C’est la dernière enquête en date sur le milieu du cyclisme professionnel.
Si le sport est un milieu difficile d’accès, comme le pointent Thierry Vildary et Géraldine Hallot, ce n’est pas la seule raison de la rareté des enquêtes sur le dopage de certains coureurs. Pierre Carrey et Pierre Ballester ajoutent une dimension : l’effet de mode dans le traitement médiatique du dopage. Ils relèvent qu’à certaines périodes, « le dopage intéresse, à d’autres moments, beaucoup moins ». Des moments qui fluctuent souvent selon l’importance du quotidien L’Équipe, média du groupe Amaury, organisateur du Tour de France.
Trouver du soutien
Une troisième raison est également invoquée par Pierre Ballester : la difficulté pour les journalistes de travailler aujourd’hui sur la longueur dans des sujets aussi complexes quand ils ne sont pas soutenus par leur rédaction. Ce qui arrive parfois. « C’est un travail à faire sur la durée, on peut bluffer, se planter… Mais il faut de la ténacité. Notre travail part d’un questionnement qui épouse une suspicion, ce doute nous obsède », déclare l’ancien journaliste de L’Équipe. Pour lui, il est important d’être soutenu pendant l’enquête mais aussi à sa publication. Ce qui n’a pas toujours été le cas à L’Équipe.

Pour Pierre Ballester, si les sportifs sont de moins en moins nombreux à se faire prendre, ce n’est pas forcément parce qu’ils se dopent moins.
Autre son de cloche avec Géraldine Hallot, en amont de la conférence. Elle a expliqué aux étudiants qu’elle a eu la chance d’être accompagnée et soutenue par sa rédaction au moment de la préparation, de la réalisation ainsi que de la publication de son enquête sur le peloton du cyclisme professionnel.
« Le milieu du cyclisme est une réalité à nuancer, intervient Pierre Carrey. Il y a toujours eu des questions sur la connivence entre journalistes et sportifs. Vous pouvez être ami avec certaines équipes quand d’autres peuvent faire figure d’ennemis. Mais à mon sens, les journalistes sont de plus en plus courageux et osent de plus en plus agir seuls. »
Les journalistes gênés par les instances
Si moins d’affaires de dopage sont révélées dans les médias aujourd’hui, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années, c’est également du fait des instances de régulation du dopage. Mieux encadrés, mieux protégés par leur équipe et les directeurs sportifs, les coureurs cyclistes ont désormais souvent un coup d’avance sur les contrôles des grandes instances de lutte contre le dopage telles que l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) dans l’Hexagone ou l’Agence mondiale antidopage (AMA) au niveau international.
Pour Thierry Vildary, il faudrait « passer au lance-flamme l’agence mondiale antidopage ». Pour le journaliste d’investigation de France TV Sport, cette dernière est de moins en moins efficace dans la recherche de produits proscrits utilisés par les équipes et les coureurs du fait de connivences avec certains acteurs du cyclisme. Ce qui entrave donc la lutte contre le dopage. Un véritable paradoxe pour Pierre Ballester qui constate qu’aujourd’hui « de moins en moins de sportifs se font attraper » alors qu’il pense « qu’ils sont de plus en plus nombreux à se doper ».
Les trois journalistes s’accordent pour faire ce constat : le principal problème auquel sont confrontés les médias aujourd’hui dans leur quête de sortir des affaires de dopage est l’évolution du milieu sportif, que ce soit dans le cyclisme ou dans le monde du sport en général. Le changement de polarisation de ce milieu de l’Occident vers le Moyen-Orient, avec des équipes contrôlées et financées par des États (le PSG en football, le team UAE en cyclisme, entre autres), fait qu’il est de plus en plus compliqué pour des journalistes seuls, voire même organisés en consortium, d’avoir accès à de l’information directe, sans intermédiaire.
Alors, le journaliste est-il condamné à rester l’observateur d’un milieu du sport qui évolue au pas de course et tend à se renfermer sur lui-même ? Un repli qui entrave le journaliste dans la façon de raconter, de critiquer et même de se passionner pour ces évènements parfois hors du commun.